Les hémorragies du post-partum

Introduction  

 

    Les hémorragies obstétricales sont la première cause de mortalité maternelle dans le monde et comptent pour 27,1% des morts maternelles mondiales (OMS, 2019). Les hémorragies du post-partum représentent 72% des morts maternelles parmi ces hémorragies obstétricales (OMS, 2019). La mortalité maternelle est un phénomène rare en Belgique (Stabel, 2022).  

En Belgique, le nombre d’hémorragies du post-partum et ses conséquences (anémie sévère, transfusion, hystérectomie et mort maternelle) ne sont pas répertoriés de manière nationale (Vandenberghe et al., 2017). Cependant,  la prévalence d’une hémorragie du post-partum sévère nécessitant une hystérectomie et/ou une radiologie interventistique est de 6.6 pour 10.000 naissances (Vandenberghe et al., 2017).  Ces « near-miss » cas nous démontre que la gestion de la troisième phase du travail reste une problématique importante pour la santé de la femme aujourd’hui en occident.  

 

   La première cause d’hémorragie du post-partum est l’atonie utérine (Miller et Ancari, 2022). L’hémorragie du post-partum peut typiquement arriver dans les 24 heures après la naissance, mais il arrive d’avoir des hémorragies tardives, allant jusqu’à 6 semaines après la naissance (Chelmow, 2011).

 

   La gestion de la troisième phase de travail pour prévenir les hémorragies du post-partum est débattue par les professionnels de la santé et dans le monde scientifique depuis plusieurs décennies (McDonald, 2007). Dans le système de soins de santé occidental, il existe pour le moment deux approches pour gérer la troisième phase de travail : la gestion active et la gestion passive (Begley et al, 2019). La gestion active de la troisième phase de travail est de nos jours la règle d’or au sein des maternités et recommandée par les guidelines internationaux (NICE, 2017; WHO, 2014; AGCO, 2017). Cependant, la question du type de gestion de la troisième phase du travail à adopter dans le contexte d’une naissance physiologique peut se poser. En effet, il y a de plus en plus de preuves d’effets négatives d’ocytocine exogène dans un contexte de naissance et de post-partum physiologique (Dixon et al., 2013 ; Begley, 2014). De plus, l’hémorragie du post-partum par atonie a augmenté cette dernière décennie dans le monde occidental, notamment aux États-Unis où le nombre d’hémorragies a doublé en dix ans malgré l’application quasi systématique de la gestion active de la troisième phase du travail ( Rossen et al., 2010 ; Kramer, 2013).

 

Définition

 

La gestion active de la troisième phase est définie par l’injection prophylactique d’une substance pharmaceutique utéro-tonique, un clampage précoce du cordon  et une traction contrôlée du cordon pour effectuer la délivrance après les premiers signes de séparation du placenta (NICE, 2017 ; WHO, 2014). La gestion passive de la troisième phase est caractérisée par l’utilisation non systématique d’un utéro tonique, par un clampage tardif du cordon lorsque les pulsations de celui-ci ont cessé et par la délivrance spontanée du placenta. La délivrance du placenta peut aussi être due à la gravité et/ou aux efforts expulsifs maternels ( Begley, 2012; NICE, 2017). 

Traditionnellement, l’hémorragie du post-partum est définie comme étant une perte de sang égale à ou plus de 500 ml dans les 24 heures après une naissance vaginale (OMS, 2019). Cependant, chez une femme en bonne santé et dans le système de soin occidental, une femme pourrait perdre plus de 500ml de sang sans que cela impacte sa santé (Bais et al., 2004). Le collège américain des obstétriciens et gynécologues propose une définition de l’hémorragie du post-partum adaptée à notre réalité occidentale : une perte de sang égale ou supérieure à 1000ml, ou une perte de sang d’un montant quelconque accompagnée de symptômes d’hypovolémie dans les 24 heures après la naissance (ACOG, 2017). 

 

Gestion active comparée à la gestion passive de la troisième phase du travail

 

Dans une récente revue systématique de la Cochrane incluant 8247 femmes à travers 7 études randomisées et quasi-randomisées, comparant l’efficacité de la gestion active de la troisième phase du travail versus la gestion passive de la troisième phase du travail, les résultats suggèrent que pour une population à risque mixte d’hémorragie du post-partum, la gestion active montre une réduction de risque d’hémorragie du post-partum (égale ou plus de 1000ml) au moment de la naissance ( RR 0,34 ;  95% CI 0,14 -0,87 ; p<0,001) et un meilleur taux d’hémoglobine (<9gr/dl) après la naissance ( RR 0,34, 95% CI ; 0,14 -0,87; p<0,001) (Begley et al., 2015). Cependant, la gestion active de la troisième phase peut entrainer de l’hypertension maternelle, des vomissements et un plus petit poids du bébé à la naissance due au clampage immédiat du cordon (Begley et al, 2015). Dans le sous-groupe de femme à bas risque il n’y avait pas de différence statistiquement significative entre les deux groupes de la gestion active versus la gestion passive pour les hémorragies sévères et les anémies.  Les auteurs concluent que les études sur ce sujet sont de basse qualité et qu’il y a un manque de preuve de bonne qualité pour conclure que  la gestion active comparée à la gestion passive de la troisième phase du travail réduit le risque d’hémorragie sévère (>1000ml) au moment de la naissance dans une population à bas risque (Begley et al., 2015). Les recommandations actuelles concernant la gestion active de la troisième phase du travail sont donc basées sur des preuves de faible qualité (Begley et al., 2015).

 

Vers une troisième voie : la gestion physiologique de la troisième phase

 

Fahy et al (2010) ont conduit une étude de cohorte rétrospective en Australie. Cette étude compare la gestion physiologique versus la gestion active de la troisième phase de travail. Dans le service de maternité ou la gestion active était appliquée, 11,5% des femmes à bas risques ont eu une hémorragie du post-partum comparé à 1,7% des femmes à bas risque qui ont eu une gestion physiologique de la troisième phase du travail en maison de naissance  (OR=7.7, 95% CI [3.6, 16.3] ; p<0.001).

Dixon et al (2013) ont mené une étude de cohorte rétrospective en Nouvelle-Zélande  comparant la quantité de perte de sang en post-partum et le nombre de traitements des hémorragies du post-partum entre les femmes ayant eu une gestion active de la troisième phase et les femmes sans gestion active. Les résultats sont similaires et montrent que les femmes ayant eu une gestion active de la troisième phase du travail ont un plus grand risque de perte de sang de plus de 500ml comparer aux femmes avec une gestion physiologique de la troisième phase ( OR 2,76 ; 95%; CI: 2,44-312 ; p <0.001 ).

L’étude de cohorte rétrospective de Saxton et al. (2015) était composée de 7548 femmes et compare les femmes ayant profité de peau à peau et d’un allaitement dans les 30 minutes ( la protunérance) après la naissance avec les femmes qui n’ont pas pu profiter de ces interventions. Les patientes à risque d’hémorragie du post-partum ont aussi été incluses et la plupart des femmes ont une gestion active de la troisième phase du travail. Les femmes qui n’ont pas eu la protunérance dans les 30 minutes après la naissance ont expérimenté presque deux fois plus d’hémorragie du post-partum (OR 1.81 ; 95% CI 1.39-2.43, p<0.001). 

 

Les auteurs expliquent cette grande différence par le fait que la protunérance a une action sur la physiologie du post-partum. L’ocytocine endogène est secrétée et relâchée dans la circulation de manière pulsative par l’hypophyse postérieure (Uvnas-Moberg, 2013). Le peau à peau et l’allaitement endéans les 30 minutes de la naissance vont permettre une sécrétion de l’ocytocine, qui va avoir un effet sur le cerveau et l’utérus. Au niveau cérébral, cela va permettre de créer un sentiment de calme et d’amour et va permettre l’attachement au nouveau-né (Uvnas-Moberg, 2020). Lors de la circulation dans le sang, l’ocytocine va s’attacher aux récepteurs du myomètre et cela va entrainer des contractions utérines fortes qui vont permettre la délivrance du placenta et diminuer les pertes sanguines (Saxton et al., 2014). L’adrénaline qui est produite lors de situation de peur ou de stress peut s’attacher aux mêmes récepteurs et donc empêcher l’ocytocine endogène de s’y attacher et entrainer une atonie utérine et une hémorragie du post-partum ( Arrowsmith et Wray, 2014).Dès lors, lors s’une situation d’alerte ou de peur pendant la troisième phase du travail ou en post-partum, une hémorragie du post-partum par atonie a plus de chance de se produire (Saxton et al., 2016)

 

Nous pouvons voir à travers ces différentes études que la gestion physiologique de la troisième phase du travail n’est pas synonyme de la gestion passive de la troisième phase du travail. En effet, la gestion physiologique de la troisième phase comprend, au moins,  l’allaitement maternel, le peau à peau et une surveillance attentive de la femme. Cependant, il n’existe pas de consensus sur la définition de la gestion physiologique de la troisième phase (Hastie et al, 2009).

Vers une nouvelle définition de la gestion physiologique de la troisième phase du travail : la protunérance plus

Saxton et al. (2016) ont dès lors mis en évidence une théorie plus complète qui permet de minimiser le risque d’hémorragie du post-partum des femmes. La théorie de la « protunérance plus » qui incluent le peau à peau et l’allaitement dans les trente minutes après la naissance, mais aussi l’environnement de naissance, la présence et le comportement de la sage-femme ainsi que le comportement et les sentiments de la femme. 

 

La « birth territory » théorie explique comment l’environnement de la naissance influence la façon dont la femme se sent pendant le travail et la naissance.  Ces sentiments sont directement en lien avec le fonctionnement physiologique de son corps et de son esprit (Fahy et al., 2010). La sage-femme gardienne va aussi s’assurer que la femme est protégée, nourrie et supportée émotionnellement et physiquement au sein du lieu de naissance et la sage-femme sera la gardienne de ce lieu de naissance (Fahy et al., 2010).Grâce à ce mode de soin, la femme se sent en sécurité et sait qu’elle est le centre de l’attention ce qui lui permet de se concentrer sur son nouveau-né et d’avoir une dominance parasympathique cérébrale. Ce qui va permettre une production optimale d’ocytocine et permettre une bonne contraction de l’utérus et de diminuer les pertes de sang (Saxton et al., 2016).

 

Les éléments essentiels à l’application de cette théorie sont de s’assurer que le lieu de naissance est chaud, que la femme s’y sente en sécurité, qu’il y ait un peau à peau immédiat et un allaitement dans les trente minutes après la naissance, que la sage-femme soit la gardienne de cet environnement et que les femmes puissent concentrer toute leur attention sur le nouveau-né (Saxton et al., 2016)

 

Prévention et conclusion

 

La mise en place de ces éléments essentiels à une troisième phase physiologique va permettre une prévention des hémorragies du post-partum auprès de toutes les femmes, et selon Saxton et al. (2016) aussi auprès des femmes à risque et/ou qui ont eu une gestion active de la troisième phase du travail. 

L’utilisation excessive d’ocytocine pendant le travail entrainerait plus d’hémorragie du post-partum (Grotegut et al., 2011 ). À Bruxelles et en Wallonie, le taux d’induction est élevé (32,2 % et 30,7 %) (Cepip, 2021) et cette épidémie ne  fait qu’augmenter dans les pays occidentaux ( Wickham, 2021). De plus, l’optimalisation du travail avec de l’ocytocine de synthèse est assez courante au sein des maternités bien qu’il n’existe pas de chiffres nationaux. 

Le rôle de la sage-femme est avant tout de prévenir les hémorragies du post-partum en mettant en place un environnement adéquat et en inscrivant sa pratique dans la théorie de la protunérance plus, et cela pour toutes les femmes, mais aussi en utilisant l’ocytocine de synthèse avec prudence et sagesse. Il n’y a pas à ce jour d’étude de bonne qualité prouvant que la gestion active du travail est efficace auprès d’une population à bas risque d’hémorragie du post-partum. Gardons en tête que la gestion active de la troisième phase du travail doit aussi rester un choix pour la femme, ce qui est bien trop souvent imposé sans explications par les maternités.

 

Références

 

American college of Obstetricians and gynaecologists (ACOG). (2017). ACOG Expands Recommendations to Treat Postpartum Haemorrhage. ACOG recommendations https://www.acog.org/news/news-releases/2017/09/acog-expands-recommendations-to-treat-postpartum-hemorrhage [(accessed on 05 June 2022)]. 

 

Arrowsmith, S., & Wray, S. (2014). Oxytocin: its mechanism of action and receptor signalling in the myometrium. Journal of neuroendocrinology, 26(6), 356–369. https://doi.org/10.1111/jne.12154

 

Begley, C. M., Guilliland, K., Dixon, L., Reilly, M., & Keegan, C. (2012). Irish and New Zealand midwives' expertise in expectant management of the third stage of labour: the 'MEET' study. Midwifery, 28(6), 733–739. https://doi.org/10.1016/j.midw.2011.08.008 

 

Begley C. M. (2014). Intervention or interference? The need for expectant care throughout normal labour. Sexual & reproductive healthcare : official journal of the Swedish Association of Midwives, 5(4), 160–164. https://doi.org/10.1016/j.srhc.2014.10.004

 

Begley, C. M., Gyte, G. M., Devane, D., McGuire, W., & Weeks, A. (2015). Active versus expectant management for women in the third stage of labour. The Cochrane database of systematic reviews, (3), CD007412. https://doi.org/10.1002/14651858.CD007412.pub4

 

Bais, J. M., Eskes, M., Pel, M., Bonsel, G. J., & Bleker, O. P. (2004). Postpartum haemorrhage in nulliparous women: incidence and risk factors in low and high risk women. A Dutch population-based cohort study on standard (> or = 500 ml) and severe (> or = 1000 ml) postpartum haemorrhage. European journal of obstetrics, gynecology, and reproductive biology, 115(2), 166–172. https://doi.org/10.1016/j.ejogrb.2003.12.008 

 

Chelmow D. (2011). Postpartum haemorrhage: prevention. BMJ clinical evidence, 2011, 1410.

 

Dixon, L., Tracy, S. K., Guilliland, K., Fletcher, L., Hendry, C., & Pairman, S. (2013). Outcomes of physiological and active third stage labour care amongst women in New Zealand. Midwifery, 29(1), 67–74. https://doi.org/10.1016/j.midw.2011.11.003

 

Fahy, K., Hastie, C., Bisits, A., Marsh, C., Smith, L., & Saxton, A. (2010). Holistic physiological care compared with active management of the third stage of labour for women at low risk of postpartum haemorrhage: a cohort study. Women and birth : journal of the Australian College of Midwives, 23(4), 146–152. https://doi.org/10.1016/j.wombi.2010.02.003

 

Grotegut, C. A., Paglia, M. J., Johnson, L. N., Thames, B., & James, A. H. (2011). Oxytocin exposure during labor among women with postpartum hemorrhage secondary to uterine atony. American journal of obstetrics and gynecology, 204(1), 56.e1–56.e566. https://doi.org/10.1016/j.ajog.2010.08.023